Depuis la création de Jeunesse au Soleil et de ses équipes sportives en 1954, des milliers de personnes ont pris part à ses activités. Plusieurs d’entre elles y ont vu naître des amitiés à long terme, une passion pour le coaching, ou encore le rêve de poursuivre une carrière sportive au niveau professionnel. Nombre de nos anciens ont poursuivi des études universitaires.
Philippe Labrecque, ancien joueur de football à Jeunesse au Soleil et actuel entraîneur au sein de notre équipe midget de football, en est un exemple. Philippe est détenteur d’un baccalauréat en Sciences politiques ainsi que d’une maîtrise en Administration publique de l’Université Concordia, en plus d’avoir obtenu un certificat en Études politiques européennes à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et une maîtrise du King’s College à Londres. Il est présentement analyste en développement Marketing, mais a également exercé le métier de journaliste, notamment en collaborant au journal Huffington Post. Il est l’auteur du livre Comprendre le conservatisme en quatorze entretiens, qui a fait l’objet d’une entrevue menée par la directrice des communications de Jeunesse au Soleil, Ann St-Arnaud.
Bien que nos anciens aient tous des parcours différents, une chose les réunit : une compréhension du sens de la communauté. « Je dirais que le sport et le rôle d’entraîneur servent également à préserver la communauté à petite échelle, celle d’un quartier, d’un groupe de jeunes sportifs, d’un organisme communautaire», nous explique M. Labrecque dans son entretien. «La forme que prend les équipes de sports à Jeunesse au Soleil (et dans divers quartiers et régions) en est une de proximité, alors que souvent les jeunes joueurs vivent littéralement à quelques rues du terrain de football ou du centre sportif et fréquentent les mêmes écoles. Cette proximité aide à créer des relations et des souvenirs collectifs qui sont partagés par les gens qui vivent ensemble et qui forment une communauté au quotidien.»
L’importance de la communauté va au-delà des sports. Il s’agit d’un aspect fondamental de la vie, et nos anciens ont pu en faire l’expérience dès un jeune âge. Une autre leçon importante qu’ils ont apprise est la confiance en soi et en autrui, et le désir de construire et d’évoluer ensemble. C’est dans cet esprit de partage et dans cette constante envie de grandir collectivement que Jeunesse au Soleil a débuté. Au-delà du développement des aptitudes physiques et de la performance, les équipes sportives contribuent à la formation de l’identité des individus, et leur apprend à s’inscrire dans un groupe pour redoubler de force : sur le terrain, et dans la vie. « Comme entraîneur, on espère toujours que les leçons apprises au football par les joueurs leur serviront dans leur vie personnelle et dans leur implication dans la collectivité pour justement servir autrui et aider à préserver cet esprit communautaire», conclut M.Labrecque.
Entrevue intégrale:
Ann St Arnaud : Philippe Labrecque, vous êtes détenteur d’un baccalauréat en Sciences politiques ainsi que d’une maîtrise en Administration publique de l’Université Concordia. Vous avez également obtenu un certificat en Études politiques européennes à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et une maîtrise du King’s College à Londres. Vous êtes présentement analyste en développement Marketing, mais avez également exercé le métier de journaliste, notamment en collaborant au journal Huffington Post. Vous êtes l’auteur du livre Comprendre le conservatisme en quatorze entretiens. Pendant tout ce temps, vous avez été lié à Jeunesse au Soleil. Pouvez-vous décrire votre parcours au sein de l’organisme?
Philippe Labrecque : Avec plaisir! J’ai fait connaissance avec Jeunesse au Soleil par le sport, le basketball plus précisément. À l’époque, j’étais un joueur d’une équipe adverse de l’organisme (Pagé-Concordia) et nos rencontres contre l’équipe de basketball de Jeunesse au Soleil, les Hornets, furent mes premiers contacts avec l’organisation. Les programmes sportifs de l’organisation ont toujours eu une très bonne réputation et quand je me suis intéressé au football, je me suis naturellement tourné vers le programme de football de l’organisme.
Depuis, mon implication à Jeunesse au Soleil m’a mené au-delà du football. J’ai travaillé pour l’organisme lors des campagnes de collecte annuelles durant la saison des Fêtes ; l’été comme patrouilleur à vélo et comme moniteur pour le camp de jour de l’organisme. Tous ces rôles m’ont permis d’approfondir ma connaissance de l’organisme et de le faire connaître également, mais je crois qu’on m’associe principalement et avec raison, avec mon implication comme entraîneur de football au sein du programme de football des Hornets depuis 2006.
Comme entraîneur, j’ai commencé avec le niveau Atome (7 à 9 ans) et je suis maintenant entraîneur avec les Midgets (16-17 ans). Tout au long de ce parcours, j’ai eu la chance de faire partie de 4 championnats provinciaux, dont l’équipe Midget 2018 qui a remporté le championnat provincial et interprovincial après une saison parfaite.
Ann St Arnaud : Dans votre livre Comprendre le conservatisme en quatorze entretiens, vous avez effectué des entrevues qui vous ont mené aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne ainsi qu’en Suisse. Une des personnes avec lesquelles vous vous êtes entretenu est selon vous « l’un des plus importants philosophes britanniques de notre époque », le philosophe Roger Scruton. Lors de cet entretien, il affirme croire « que les gens sont naturellement conservateurs, car ils veulent spontanément préserver certaines choses auxquelles ils attribuent une certaine valeur. Ils veulent transmettre un ensemble de choses à leurs enfants qu’ils ont eux-mêmes héritées de leurs parents. » Croyez-vous que la transmission du savoir par l’entraîneur de football rejoint ce principe conservateur?
Philippe Labrecque : Il y a des similarités entre le rôle d’entraîneur de sport et l’idée de passation d’une génération à l’autre. Je crois qu’être entraîneur sportif est, en effet, une façon de transmettre son savoir, comme Scruton l’indique. J’ajouterais que pour les entraîneurs, c’est également une façon de rester impliqué dans un environnement compétitif, ce que leur nature profonde requiert souvent, étant majoritairement des anciens athlètes eux-mêmes.
La transmission de la connaissance d’un entraîneur à un joueur dans l’adolescence possède cet aspect conservateur qui implique un contrat entre les générations et qui consiste à assurer la préservation d’un socle, d’un héritage pour les jeunes générations, alors que cette dernière devra également accepter la responsabilité d’effectuer la préservation et la passation à son tour dans le futur. Tout entraîneur crée donc un pont entre ceux qui lui ont enseigné, soit la génération passée, et les joueurs actuels, ceux qui enseigneront à leur tour quand le moment viendra.
Je dirais que le sport et le rôle d’entraîneur servent également à préserver la communauté à petite échelle, celle d’un quartier, d’un groupe de jeunes sportifs, d’un organisme communautaire. La communauté peut être définie sur échelle plus grande, celle de la nation, par exemple, ce que les équipes sportives nationales et les athlètes olympiques représentent très bien. Mais la forme que prend les équipes de sports à Jeunesse au Soleil (et dans divers quartiers et régions) en est une de proximité, alors que souvent les jeunes joueurs vivent littéralement à quelques rues du terrain de football ou du centre sportif et fréquentent les mêmes écoles. Cette proximité aide à créer des relations et des souvenirs collectifs qui sont partagés par les gens qui vivent ensemble et qui forment une communauté au quotidien. Comme entraîneur, on espère toujours que les leçons apprises au football par les joueurs leur serviront dans leur vie personnelle et dans leur implication dans la collectivité pour justement servir autrui et aider à préserver cet esprit communautaire.
Je crois que cet aspect communautaire, ce sens de responsabilité et du devoir envers ceux qui font partie de notre quotidien, s’inscrit dans une vision conservatrice et dans une sorte de philosophie de l’entraîneur en même temps.
Ann St Arnaud : En lisant votre livre, l’on comprend que les valeurs chères aux conservateurs sont la famille, le respect de l’autorité, des traditions et des institutions, le travail, la réussite scolaire, le bien commun, etc. À Jeunesse au Soleil, nous sommes apolitiques, mais à la lecture de votre livre, on comprend que notre co-fondateur, Earl De La Perralle, était de toute évidence un conservateur dans l’âme. Pensez-vous que ce dernier vous a transmis ces valeurs?
Philippe Labrecque : Je crois que la valeur principale que j’ai retenue de Earl est le pragmatisme. Earl pouvait paraître très strict et même dur pour quelqu’un qui se contentait de l’observer de loin, mais il était, au contraire, toujours capable de s’adapter à une panoplie de situations difficiles, que ce soit les conditions socioéconomiques de certains de nos jeunes joueurs, aider ces derniers dans leurs cheminements académiques et professionnels ainsi que les changements de mentalités dans la société et les différentes perspectives que les nouvelles générations de joueurs et d’entraineurs apportaient.
Earl avait cette habileté de toujours trouver un compromis, une entente, une solution qui répondait aux besoins de chacun dans des paramètres raisonnables qui permettaient d’aller de l’avant collectivement. Peu importe son sentiment personnel ou idéologique, Earl mettait toujours le bien collectif avant le sien, ce qui est, d’une certaine façon conservateur en agissant pour la communauté, mais aussi apolitique comme vous disiez, dans le sens où l’objectif n’était jamais d’imposer son idéologie, mais de maximiser le bien-être d’autrui, peu importe leurs convictions personnelles, politiques ou autres.
Si être entraîneur consiste à être une sorte de passeur, de protecteur intergénérationnel de l’héritage comme je l’indiquais, alors Earl représente le plus grand des passeurs, ayant transmis son savoir à de multiples générations après des décennies comme entraîneur et comme co-fondateur de Jeunesse au Soleil. On ne peut pas toucher autant de générations différentes sans être capable de pragmatisme, de souplesse et de convictions fermes en même temps, ce que Earl représentait.
Ann St Arnaud : Vous avez rencontré l’auteur et chercheur en histoire politique, Xavier Gélinas. Ce dernier est également conservateur en histoire politique et directeur adjoint de la division d’archéologie et d’histoire au Musée canadien des civilisations. Dans votre livre, monsieur Gélinas affirme qu’un des socles du conservatisme est « la primauté de la communauté». La journaliste, essayiste et chercheuse française Laetitia Strauch-Bonart, que vous avez également rencontrée, affirme quant à elle que « le conservateur considère que les liens que tissent les personnes dans une communauté font de cette communauté une entité supérieure à la somme des individus qui la composent – entité qui dispense de nombreux bienfaits mais exige aussi un certain nombre de sacrifices». Ne trouvez-vous pas que c’est là la définition même du football?
Philippe Labrecque : Oui, je crois qu’on peut parler de micro communauté en ce qui a trait au football et aux équipes sportives en général. Comme je le mentionnais auparavant, la communauté se définit à plusieurs niveaux. Pour les joueurs et les entraîneurs impliqués au sein d’une équipe, il est évident qu’ils forment une communauté, non seulement car ils doivent se côtoyer, mais surtout parce que le bien-être de tous dépend de chacun alors que le groupe travaille ensemble pour accomplir un objectif collectif.
L’individu, que ce soit un joueur ou un entraîneur, est toujours secondaire à l’équipe, au collectif, ce qui tend à confirmer ce socle de « primauté de la communauté » dont parle Gélinas ou « l’entité supérieure à la somme des individus » dont parle Strauch-Bonart.
Si je peux me permettre un commentaire politico-social, une telle dévotion au collectif par le reniement de soi jusqu’à un certain point, ces « sacrifices » dont parle Strauch-Bonart, est devenu presque anachronique à notre époque. L’individualisme semble s’être transformé en isolationnisme où le « Moi » prime sur le « Nous » et où l’individu roi demande qu’on se prosterne à ses pieds et qu’on acquiesce à la moindre de ses demandes, peu importe la frivolité de celles-ci. Nous avons donc développé une société où l’individu se croit supérieur, plus important à l’ensemble des personnes qui constituent sa communauté et quoiqu’il y ait des pochettes de résistances, cette perspective semble dominer notre société moderne.
Sans nécessairement le verbaliser, je crois que plusieurs jeunes joueurs et même plusieurs entraîneurs s’impliquent dans le football pour échapper à cet isolationnisme qui est parfois mimétique et involontaire. Au sein du sport et du football, ils retrouvent cet aspect communautaire où ils peuvent contribuer à quelque chose qui représente un ensemble, une confrérie qui donne un sens à l’existence qui dépasse les poursuites consuméristes et égocentriques vaines qui pullulent l’espace public de nos jours.
Soyons francs, le sport n’est pas à l’abri de cet individualisme rampant où les exemples abondent de quête de gloire personnelle et les égos surdimensionnés sont présents, même chez les plus jeunes. Ceci étant dit, je crois que l’individu a profondément besoin, en partie, de se sacrifier, de faire abstraction de lui-même au profit d’un effort collectif qui lui permet d’atteindre un sens du travail bien fait, du devoir accompli, d’avoir tenu ses responsabilités envers autrui, que l’individu seul ne peut atteindre. Peut-être que le sport offre cette chance de partager nos vies et nos destins et qu’au travers de ce partage, de ce sacrifice, les individus forment une communauté spontanément.